Part 2 : Musique normale
La musique normale nous a tous bouleversé à
certains moments de notre vie
Quand on écoute
quelque chose de différent, à mon avis, il faut pas que ça nous
perturbe trop. On choisit seulement, parfois, d'aller plus loin dans
l'obscurité. C'est un autre facteur qui me fait aimer quelque chose,
la familiarité que j'ai avec la musique.
Ça peut être que
je veux devenir pote avec le leader. C'est le cas pour des gens comme
Jonathan Richman, qui est maintenant tellement mon pote que je
m'identifie à tout ce qu'il chante, tout le temps. Même pour des
chansons comme "Homewrecker" (le titre est assez
explicite), qui parlent d'expériences qui me sont inconnues, je le
comprends. C'est intime, c'est mélodique, c'est expressif, et c'est
un artiste vers lequel je me suis naturellement dirigé après avoir
appris à aimer Adam Green ou les Moldy Peaches. Je ne connais pas
forcément sa vie, ni son histoire, mais sa présence sur les vidéos
que j'ai vu sur youtube et sa voix véhicule toute sa vie.
C'est ce qui
m'amène un peu à penser que l'appréciation de certaines choses
passe par paliers. On ne part pas de Balavoine pour aller directement
vers Christian Death, pas moi en tout cas. C'est plutôt
Balavoine/Hendrix/The Cure/Joy Division/Christian Death. C'est là
que la période Dad Rock est, à mon avis, primordiale dans n'importe
quelle "éducation" musicale. C'est accessible, il y en a
autour de nous au collège ou au lycée, dans la discographie de nos
parents (duh). À partir d'un moment, on s'écarte vers plus
d'obscurité. Le dernier stade est sûrement la noise, mais je ne
sais pas trop, je n'en suis pas là, c'est peut-être les chants
grégoriens. Quand on entre dans le Dad Rock, après une enfance où
on ne s'intéresse pas du tout à la musique (on l'apprécie, mais on
ne l'adore pas) on est surpris, mais pas trop destabilisé.
En attendant, la fin de la période Dad Rock appelle à être bousculé dans ses habitudes d'écoute. On m'a parlé d'expériences avec le Shoegaze commençant en n'entendant que du bruit, puis par finir par discerner ce qui nous plaît dans ce gros "pfffrooooo". Mais la façon dont ça sonne est quand même très secondaire dans ce qu'on découvre en sortant du Dad Rock. On veut surtout marquer sa différence, l'appartenance à un groupe caché. GG Allin, en soi, c'est pas super. C'est très différent, mais c'est surtout dangereux. Et puis, à un moment, on se pose la question : "Est-ce que ce que j'écoute vaut vraiment le coup? Est-ce que j'écoute de la merde parce que c'est cool?"
"J'ai eu
ce problême avec Daniel Johnston. Je me suis demandé si j'étais
con d'aimer des choses aussi simples que ça, mal enregistrées. Si
les émotions que je ressentais en entendant ça étaient réelles,
si je n'étais pas qu'un petit con qui voulait se trouver une
passion. Puis aujourd'hui, j'ai la réponse (la mienne) : rien ne
vaut la peine d'être entendu. Il n'y a pas trop de choses à
écouter. Le "surchoix", ça n'existe pas. On trouve des
trucs, qui nous plaisent ou non, mais au final, ça n'a pas
d'importance si on n'écoute pas la dernière merde qui vient de
leaker. C'est vraiment dommage que la radio soit nulle, que toujours
les mêmes chanteurs de merde tournent en boucle toute la journée.
J'ai l'image de la radio comme quelque chose qu'on branche, puis
qu'on apprécie, si on a de la chance. On est obligé de chercher la
musique, et c'est vraiment pas pratique. Mais du coup, la recherche
devient super intéressante, et tu peux en parler avec tout le monde,
partager, ou continuer à écouter tout seul, dans son coin, ça n'a
plus d'importance. Et qu'on soit orientés parce que un artiste est
"cool", quelle importance? Toutes les musiques se valent,
ça résonne seulement différemment selon qui l'écoute. J'essaie de
garder en tête néanmoins qu'il faille que je sois un peu plus
obscur que les autres, parce que c'est intéressant pour moi."
C'est un autre
stade, à mon avis. Et je suis en plein dedans. Je ne fais pas de
hiérarchie selon les genres, toutes les musiques ne se valent pas,
mais seulement de mon point de vue. Écoutez du Math Rock, si vous voulez,
je m'en fous. Ne me retirez pas le fruit de ma recherche.
Le facteur chill,
là, prend une importance non négligeable. Parce que ce qui est
chill, ce n'est pas forcément cool, mais ça destabilise. Pour
revenir à Radiohead, je ne suis pas destabilisé en écoutant. C'est
de la musique "normale", après toutes mes périgrinations
sur internet. Mais c'est anormal pour moi d'écouter ce genre de
trucs, alors je suis destabilisé. Je suis clair?
Toujours est-il
que le facteur de la familiarité est difficile pour moi à définir.
Je ne sais pas vraiment ce qui me rapproche de certains groupes,
hormis le fait que je voudrais devenir comme eux (il y a beaucoup
d'exemples, ça peut remonter très loin, avant la musique que je
découvre sur internet). Ce n'est pas l'attraction sexuelle, parce
que coucher avec le leader, ça signifie qu'on ne comprend rien à sa
musique. Tout ça est peut-être trop compliqué, mais il faut
régulièrement, selon moi, changer ses habitudes d'écoute. On peut
être bouleversé par Brassens ou Bashung, et à mon âge, c'est
presque normal. J'essaie d'être destabilisé dans l'autre sens, plus
loin dans ce que je n'arrive pas à encore à saisir. Je ne sais pas
vraiment quand je cesserai d'aimer ça.
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